- sur l’indépendance : alors peut-être que pour toi, le fonctionnaire c’est juste le mec chiant derrière un guichet. mais c’est aussi par exemple le mec chiant qui vérifie la légalité des délibérations collectivités territoriales aussi. imaginons un mec qui trouve des illégalités dans la délibération qui attribue un marché au cousin du maire ou une délégation de service public à son neveu. si le maire a de bonnes relations avec le préfet et qu’il a deux-trois autres délibs foireuses qui suivent, le préfet réorganise le service de contrôle de légalité, trouve d’un coup qu’il y a un poste en trop (alors que franchement le pourcentage de délibérations réellement examinées est déjà infime). il propose au mec chiant 3 postes à 400 bornes de chez lui, de préférence là où il ne pourra faire chier personne (dans les ruines d’une DRAC par exemple)… si Madame mec chiant a un travail dans le privé, tu imagines bien que c’est un peu compliqué dans la conjoncture actuelle de prendre le risque de partir alors que Monsieur mec chiant, avec son bac + 5, s’il est en début de carrière, même catégorie A, gagne dans les 1500 – 1600 €. il refuse, il est licencié. sans indemnités, donc, comme précisé dans les textes parus sur le licenciement des fonctionnaires. on peut imaginer la même chose avec un instit qui refuse de dénoncer les enfants sans papiers par exemple, d’un coup sa classe ne va plus être justifiée en termes d’effectifs (quitte à la recréer plus tard). autre exemple côté collectivités locales pour pas faire de jaloux… les nouvelles dispositions ont l’air concentrées sur l’Etat mais bon, il y a des disposition proches dans la territoriale. un agent de catégorie C qui est participe aux procédures de recrutement (rédige les arrêtés etc). Un jour il finit par dire que c’est pas discret que tant de recrues aient le même nom de le maire ou le président et que par ailleurs c’est quand même un tout petit peu illégal de ne pas faire d’annonces et de jurys et qu’on n’est censés recrutés de contractuels que si on ne trouve pas de fonctionnaires. je t’accorde qu’il n’y a pas des supers héros comme ça à tous les coins de couloir, mais ils existent. ben l’agent de catégorie C on réorganise son service et on lui propose des postes sur lesquels il n’a aucune compétence (genre du financier, ou du social, bref les domaines ultra techniques de l’administration où on n’improvise pas (une erreur dans la procédure de placement d’un enfant c’est un peu grave))… il va peut-être accepter pour éviter le licenciement, mais est-ce mieux pour le service public ?

Vue la pyramide des âges de la fonction publique, le licenciement n’est pas nécessaire pour réorganiser les services de l’Etat et rééquilibrer (ce qui est très probablement nécessaire) les moyens affectés aux différentes actions publiques… il me semble donc que même si c’est joliment dit, le véritable objectif n’est pas là, que tout cela n’est pas nécessaire et que les abus seront nombreux et très dommageables pour l’intérêt général.

- sur la comparaison avec le licenciement dans le privé, le concours, la rémunération etc. : le fait que j’aie passé mon enfance et mon adolescence à déménager au gré des licenciements économiques déguisés ou pas de mon père n’est pas complètement étranger au fait qu’aujourd’hui je suis fonctionnaire. tu ne m’apprends rien sur ce sujet. sauf que chacun fait ses choix avec toutes les informations dont il dispose et avec ses préférences. alors oui j’ai fait Sces Po, mais je fréquente aussi des plombiers et des cuistots… moi j’ai fait le choix de la sécurité de l’emploi, de ne pas dévouer ma vie à la réussite économique d’un patron (souvent ingrat), de faire des horaires raisonnables (plus que 35 heures concrètement, mais moins que les copains de promo qui bossent dans la banque par ex). et j’ai accepté le paquet : j’ai passé un concours difficile pour accéder à un statut où je n’avais pas de garantie de trouver un poste (dans la territoriale on doit trouver son poste), avec des obligations statutaires (neutralité etc), avec des salaires relativement bas en comparaison des personnes qui ont des fonctions et une expérience proches des miennes dans le privé. je ne me plains pas de mon salaire parce que j’ai la chance d’être dans une grosse collectivité qui a mis en place un régime indemnitaire intéressant. je me sens donc plutôt privilégiée de ce côté là. mais je n’oublie pas qu’il y a énormément de fonctionnaires dans des petites structures comme les petites communes, communautés de communes… tu trouves peut-être formidable de gagner 1 400 € quand on est chef du service juridique (composé d’un(e) secrétaire en gros) dans une commune de 20 000 habitants et après un bac + 5, moi je ne trouve pas compte tenu des responsabilités, des horaires etc… à ce poste, une erreur peut envoyer le maire en prison quand même… à un autre niveau de diplôme, un plombier qui travaille dans un lycée gagne 1 100 – 1300 € en début de carrière. j’ai un ami plombier sarkoziste qui gagne plutôt 2 500 € au même âge et son employé le moins bien payé, avec le même diplôme que le mec du lycée, avec certes pas de concours mais pas non plus de difficultés de recrutement comme pour bcp d’artisans, est à 1 500 € + les heures supp (théoriquement possibles mais pratiquement inconnues (en tout cas en tant qu’heures payées) dans un lycée). alors il y a tout un tas de métiers non comparables aussi, mais sur les métiers d’artisans le gouffre est important et se creuse avec l’âge parce que les bons plombiers privés finissent par monter leur boîte, ont un emploi du temps de malade parce que pénurie, mais le salaire grimpe plus. la stat que tu sors sur les cadres est intéressantes. ça fait des années que les fonctionnaires sont augmentés de 0,5% par an, que l’inflation soit de 1 ou 2 % par an. après chacun fait son choix. moi je ne veux pas me tuer au travail, je veux travailler pour des intérêts non privés, je veux avoir juste assez d’argent pour vivre, j’ai fait le choix de la fonction publique et j’accepte les inconvénients, je ne m’attends pas à faire fortune notamment. mais si on m’enlève un élément ça brise l’équilibre de mon choix, donc je ne suis pas d’accord. c’est comme les médecins libéraux qu’on voudrait obliger à exercer dans la Creuse parce qu’il y a pénurie. s’ils voulaient ne pas choisir leur lieu de résidence ils iraient travailler à l’hôpital et auraient une vie différente. ils ont fait le choix d’être libéraux, si on leur demande d’inclure une perspective publique dans leur vie il faut une compensation (les aider pour les locaux ou le secrétariat par exemple)… ben si les fonctionnaires doivent perdre un élément aussi important que la sécurité de l’emploi, il faut une compensation, c’est comme un contrat. c’est comme si ton FAI passe ton accès internet en 56k, tu acceptes de payer le même prix ? moi non, l’équilibre du contrat change, il faut le rétablir d’une manière ou d’une autre. après si tu ne supportes pas les conditions dans le privé, le statut de fonctionnaire n’est pas un cadeau de noël, des informaticiens il y a en plein les collectivités, ils ont passé le concours d’ingénieurs (gagnent mieux que les administratifs), et ont un travail qui correspond à leurs attentes (et sinon ils peuvent changer de collectivité).

ensuite il ne faut pas croire que le licenciement est la seule façon d’exclure un fonctionnaire de la fonction publique. en cas de faute ou d’insuffisance professionnelle, il y a des procédures disciplinaires qui peuvent aboutir à une révocation ou mise à la retraite d’office. évidemment, là, il n’y a pas pôle emploi, ni indemnisation, ni droit à la formation, ni stages, même bidons… ce qui est normal puisqu’on ne cotise pas, mais quand on regarde une situation individuelle, quelles que soient les fautes de la personne, ça peut avoir des conséquences graves sur sa vie familiale par exemple.

@rva : la compensation c’est pas la compensation par rapport au privé, mais par rapport à la situation quand je me suis inscrite au concours… ça n’a pas à être connecté aux domaines que j’ai fait le choix de ne pas privilégier… si ton FAI demain te dit “je passe à 56k pour le même prix”. tu demandes une compensation, il te dit “au fin fond de la lozère c’est 56k aussi”. oui mais tu as choisi d’habiter ailleurs, dans un ailleurs où les loyers sont plus élevés aussi par exemple. la compensation doit rééquilibrer ce qu’on appelle “l’économie générale” du contrat…
si on accepte cette logique demain on accepte la sécu à la roumaine…

@rva : 1ère réaction : c’est scandaleux. 2ème réaction : ils sont combien à être syndiqués ?
dans ma collectivité on a 850 agents au siège (c’est à dire hors lycées). dans mon syndicat on est 3 et demie (et en congés mat à tour de rôle ), et en tout il doit y avoir moins de 25 syndiqués. donc on sélectionne les sujets sur lesquels on travaille. c’est le genre de sujet que je sélectionnerais personnellement, mais bon je connais pas leur situation. s’ils sont aussi peu que nous et qu’ils gèrent déjà des cas de harcèlement moral c’est excusable… chez nous au minimum ça passerait en comité technique paritaire, on voterait contre en expliquant pourquoi, et le Président (là le ministre j’imagine) déciderait ce qu’il voudrait… s’il est un peu malin il fait un truc bien dans les règles formellement et une attaque au tribunal administratif échouera. quels moyens d’action ? la grève… très compliqué de faire bouger les collègues quand ça ne les concerne pas personnellement (eux aussi ils sont dans la société de chacun contre chacun), et puis quand on ne conduit pas des trains tout le monde se fout qu’on fasse grève, on fait juste notre boulot un peu plus tard… la mobilisation extérieure (presse…) : tout le monde s’en fout, parce que ce sont des fonctionnaires ET des ingénieurs, qui peut bien se préoccuper de ses gens dont on ne comprend pas bien ce qu’ils font et dont on pense qu’ils sont de toute façon privilégiés…

si en plus tes ingénieurs n’ont fait aucune grève depuis 3 ou 4 ans, ni retraites ni problèmes internes, la motivation des syndicats doit être hyper modérée… c’est moche mais c’est humain… moi à la 3ème sollicitation d’un agent je lui demande d’adhérer et s’il ne le fait pas, à moins d’un problème grave (ton exemple me paraît grave mais ça chacun voit) il passe en bas de la pile. j’en suis pas fière mais je peux pas consacrer mes 8 heures mensuelles de décharge à des gens qui sont dans une logique d’hypermarché gratuit et se servent sans jamais servir les autres…

@rva : “les syndicats” ça ne veut rien dire. ceux qui parlent de qualité de service etc sont inaudibles parce que les autres gueulent plus fort et comme ils correspondent mieux à la caricature qu’on fait des fonctionnaires et assimilés ils sont plus écoutés…. et la colère des usagers et la radicalité des syndicats s’autoentretiennent… il faut arriver à montrer qu’on a tous les mêmes intérêts, mais les cheminots qui se font traiter de feignants à longueur de journaux, de blogs et de forum votent plus CGT ou SUD qu’UNSA… il faut que chacun fasse un pas…

intégrer les usagers à la gestion, en théorie pourquoi pas, mais les usagers n’échappent pas du tout à l’oubli de l’intérêt général… si tu fais siéger un usager d’une ligne (en général les abonnés font un peu toujours les mêmes trajets et ce sont eux qui constituent le gros des troupes des asso) il n’aura aucun scrupule à demander que tous les moyens soient concentrés sur sa ligne et qu’on affaiblisse les autres… parce qu’il ne fera que gérer la pénurie qui est la première responsable de la mauvaise qualité. imaginons pendant un mois tu as un réseau ferroviaire régional en vrac pendant un mois et que tu identifies que les causes principales sont l’absentéisme non fautif (quand 10 conducteurs de train sur 1 000 ont une gastro ça fait vite bcp de trains supprimés), le manque de formation des conducteurs (il faut être formé sur la ligne ET sur le matériel pour faire un trajet et donc remplacer un collègue malade) et le manque de recrutement de mécanicien (un seul train en panne qu’on tarde à repérer, ce sont des trains plus bondés, en retard etc). pour régler ça les belles instances de concertation que le Conseil régional organise pour faire des horaires adaptés au budget ne servent pas à grand chose… et on a pas besoin des usagers pour prioriser les trains à faire rouler en cas de perturbation, on sait où sont les salariés qui ont besoin du train pour aller au travail tous les jours… ce qui compte c’est la stratégie nationale de la SNCF, c’est chez le ministre que ça se gère, donc il faut que ton usager soit là, pas ailleurs

@Amélie : beau lapsus : des horaires adaptés “aux besoins” pas “au budget” même s’il faut adapter aux 2, les usagers sont aussi des contribuables de toute façon